Le xxe siècle aura été la période la plus propice à l’émergence des femmes dans pratiquement toutes les sphères de la société. Après avoir longtemps pris la mesure des effets collectifs d’un tel changement social, il convenait de réévaluer le caractère exemplaire de quelques pionnières du xxe siècle, qui furent des héroïnes remarquables. Madeleine Renaud dans Le Ciel est à vous, de Jean Grémillon. La pensée L’arrivée massive des femmes dans le système économique et social du travail a mis fin à son enfermement domestique, enfermement voulu par les hommes durant des siècles et des siècles, pratiquement depuis l’Antiquité. Cette aventure collective des femmes dans le monde du travail aura été le résultat de circonstances historiques (le manque de main-d’œuvre masculine après la première guerre mondiale, par exemple), mais aussi le résultat d’une idéologie féministe développée depuis le Moyen Age, si l’on pense aux écrits de Christine de Pisan (France, xive siècle), de Marie Astell (Angleterre, xviie siècle), de Louise Labbé (France, xvie siècle), de l’américaine Margaret Fuller, ou de Flora Tristan, Jeanne Deroin et leurs amies au début du xixe siècle… C’est pourtant avec Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, publié en 1949, qu’un certain malaise existentiel féminin est pris en compte et rendu légitime par la dimension philosophique que lui en donne son auteure. Il faut dire et redire à quel point ce texte fait entrer la revendication féminine passée, présente et à venir dans le champ du savoir scientique et universitaire. Il a ouvert la voie à des travaux d’historiennes (Michelle Perrot, notamment) de sociologues, d’avocates (Gisèle Halimi…) de psychanalystes (Luce Irigaray, Marcelle Marini…) dans un effort commun pour vaincre le silence et l’oubli de tout ce qui concerne l’identité des femmes. Des romancières, telles que Françoise Sagan, Marguerite Duras…, ont aussi contribué à façonner une nouvelle image de la femme, d’abord dans la littérature, puis dans la vie. Dans le domaine de la psychanalyse, des personnalités comme Melanie Klein ou Françoise Dolto ont très vite été à l’origine d’importants remaniements de la théorie freudienne et, si Luce Irigaray n’a pas fait école, elle a pointé dans un texte majeur que « toute théorie du sujet aura toujours été appropriée au masculin » (Spéculum, 1974), posant ainsi les bases d’une éthique de la différence sexuelle, comportementale et humaine. Rosa Luxembourg et puis l’action… La deuxième guerre mondiale a eu ses héroïnes, que l’on commence à mieux connaître. Des femmes d’action et de courage, des résistantes, comme Lucie Aubrac, rendue célèbre par ses écrits, par sa présence encore parmi nous, et par les films de Josée Yanne, Boulevard des Hirondelles (1991), et de Claude Berri, Lucie Aubrac (1997). Mais que savons-nous de Danielle Casanova, cette résistante communiste française morte à Auschwitz et qui écrivait :« Jai du soleil plein le cœur, je suis calme et solide… » ? Que savons-nous encore de toutes celles, plus anonymes, qui ont suivi De Gaulle à Londres en prenant conscience qu’elles pouvaient participer au destin historique de la France. « On va disparaître les unes après les autres, et l’Histoire nous aura oubliées… », dit l’une d’elles dans le documentaire que leur consacre Dominique Torrès. Anonymes, mais ayant sans doute contribué à faire accepter un droit de vote chèrement acquis en 1944, après une bonne vingtaine d’autres pays européens. Dans le domaine du photojournalisme, Lee Miller (1907-1977) ne fut pas uniquement la compagne, le modèle et le support sensuel des œuvres de Man Ray, mais, travaillant pour le magazine Life comme reporter, elle fut une photographe engagée dans la diffusion des documents les plus irréfutables sur les camps de concentration nazis, documents qui, au procès de Nuremberg, ont contribué à introduire la notion juridique de crime contre l’humanité. Les idées intellectuelles, associées à la forte capacité émotionnelle que dégage tout destin exemplaire, se sont greffées sur des pratiques novatrices, des résistances au jour le jour, des révoltes quotidiennes d’innombrables princesses, bourgeoises, paysannes, ouvrières, artistes, savantes… qui ont surmonté les barrages opposés à leur sexe pour s’imposer dans la vie politique, économique, scientifique, religieuse ou artistique. Nous en sommes à peu près là aujourd’hui, dans un mouvement qui s’est amorcé lentement au début du xxe siècle, mais se poursuit inexorablement. C’est en 1933, au début du fantastique essor cinématographique hollywoodien (si l’on pense que l’arrivée du parlant date de 1927 !), que Dorothy Arzner, la deuxième grande réalisatrice américaine après Loïs Weber, met en scène un film d’une grande modernité, La Phalène d’argent. Il s’agit de la vie d’Amy Johnson, une aviatrice britannique qui effectuera son premier vol en solitaire en 1929, et un an plus tard un raid Londres/Tokyo en dix jours, 11 000 kilomètres et quatre-vingts heures de vol effectif à bord de son Jason, qu’elle ne laisse à personne le soin de bricoler. Collant à l’actualité la plus spectaculaire, la modernité du film tient aussi à la triomphante féminité du personnage, interprété par Katharine Hepburn, insolente, audacieuse, et alliant un dynamisme de comportement à une psychologie amoureuse, passionnée et fatale. « Elle portait des pantalons, moi aussi ! », dira-t-elle en conclusion de sa collaboration avec Dorothy Arzner. Quoi qu’il en soit, on mesure mal aujourd’hui l’apport des femmes aux performances et aux exploits de l’aviation. Quelques noms pourtant : Maryse Bastié bat le record du monde d’endurance en vol (1929), Hélène Boucher pulvérise le record du monde de vitesse, 428 km/h (1933), Amalia Earhart disparaît mystérieusement au-dessus du Pacifique en 1937, cinq ans après sa traversée de l’Atlantique en solitaire, Jacqueline Auriol propulse son Mirage IIC à plus de 2 000 km/h en 1963… la liste pourrait être plus longue, jusqu’aux cosmonautes comme Svletana Savitskaïa, qui effectue son premier vol dans l’espace en 1982 et accomplit une première sortie en scaphandre à bord de Saliout 7 (1984), ou Sally Ride à bord de Challenger, qui, en 1983, devient la première astronaute américaine. Sans oublier le vol dans l’espace de la française Claudie André Deshays (1996), qui obtient son diplôme de pilote sur Soyouz en 1999. Il est plus surprenant encore, si l’on remonte à l’origine de cette histoire des femmes aviatrices, de constater que l’Egypte peut se vanter d’avoir eu très tôt une femme pilote. Il s’agit de Lotfia El-Nadi, qui, bénéficiant d’un environnement politique progressiste, effectue ses premiers vols au début des années 30, au moment de la création d’Egyptair, la première compagnie d’aviation égyptienne. Louise Bourgeois Les aventurières d’aujourd’hui, dans un monde où l’histoire continue de s’écrire au masculin, n’en sont pas moins présentes et, paradoxalement, isolées que dans le passé. Grâce au cinéma, et en particulier au documentaire, nous savons qu’une femme, Anita Conti (1899-1997), a voué toute sa vie à sa passion des océans. Mais que de bruit et d’éloges pour le commandant Cousteau, et que de silence autour de cette remarquable dame des mers, première océanographe, photographe (plus de 60 000 clichés), journaliste et documentariste (six ouvrages et un nombre impressionnant de « petits carnets » relatant toutes ses aventures)… Il en va de même pour le couple Maurice et Katia Krafft, vulcanologues célèbres dans le milieu scientifique, mais dont les exploits ne furent médiatisés (et encore !) qu’à leur mort accidentelle, alors qu’ils filmaient l’éruption du volcan Unzen au Japon. Le monde de l’art compte aussi de nombreuses femmes insuffisamment connues dont les contributions à la peinture, à la sculpture, à la musique furent décisives : Louise Bourgeois, Frida Kahlo, Mary Cassatt, Tina Modotti… Pour le jazz, qui se souvient de la sonorité unique de Valaida Snow à la trompette, qui mérite d’être reconnue pour son talent original plutôt que comme l’Armstrong féminin, ainsi qu’on la surnommait à son époque ? (Gilles Corre, Femmes du jazz). Le cinéma permet, momentanément, de réactualiser l’aura d’une personnalité hors du commun, comme l’inoubliable portrait de Rosa Luxemburg filmé par Margareth von Trotta en 1985, ou celui d’Anne Devlin par Pat Murphy en 1984, qui font connaître et entrer dans la légende l’héroïsme militant et politique de quelques grandes figures féminines. La vitalité du documentaire est impressionnante. Grâce à lui, nos contemporaines nous semblent plus proches, et quelques héroïnes de ce siècle finissant ne sombrent plus dans l’oubli de nos mémoires défaillantes. Mais l’on se prend à rêver d’un vrai et grand cinéma en 35m pour tous ces destins remarquables. Pour une dizaine d’adaptations de Jeanne d’Arc à l’écran (de Dreyer à Luc Besson), combien de Simone de Beauvoir, de Maryse Bastié, d’Amalia Earhart, de Germaine Tillion, de Virginia Woolf, Lee Miller… aucune. Dans le même temps, les actrices passées la cinquantaine se plaignent de l’ineptie des rôles qu’elles ont à interpréter. Il y a là, nous semble-t-il, matière à reflexion… et à action. Elisabeth Jenny (1) Dernier message radio d’Amalia Earhart, qui, le 2 juillet 1937, lors d’une tentative de tour du monde d’ouest en est, disparaît mystérieusement avec son navigateur Fred Noonan. Bibliographie . L’incontournable Le xxe siècle des femmes, de Florence Montreynaud (Nathan, 1995) . Le Féminisme, d’Andrée Michel (Que sais-je ? Puf) . Les Aviatrices, de Bernard Marck (L’Archipel, 1993)
Madeleine Renaud dans Le Ciel est à vous, de Jean Grémillon. La pensée Rosa Luxembourg et puis l’action… Louise Bourgeois Elisabeth Jenny Bibliographie . L’incontournable Le xxe siècle des femmes, de Florence Montreynaud (Nathan, 1995) . Le Féminisme, d’Andrée Michel (Que sais-je ? Puf) . Les Aviatrices, de Bernard Marck (L’Archipel, 1993)
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