FEMMES ET IMMIGRATIONS Mes toits et moi de Anne Morin Le schéma classique d’une immigration économique telle qu’elle se présentait en France des années 50 aux années 80, a lui aussi évolué. Yamina Benguigui dans Mémoires d’immigrés , l’héritage maghrébin (1997) nous a magistralement montré comment cette population avait subi des politiques contradictoires, entre l’intégration et le retour au pays d’origine. Dans un premier temps, les hommes venus seuls pour travailler en France, avaient ensuite été rejoints par leurs femmes dans le cadre du regroupement familial. Ces mêmes femmes ont en général plié leur voile, et se sont peu à peu émancipées, à la recherche d’une intégration parfois difficile. Peu présentes dans l’espace public, peu diplômées aussi, elles ont néanmoins travaillé dans les services de soins, les services ménagers et les emplois de bureaux.*Plusieurs films révèlent les tragédies personnelles et familiales, d’une situation qui ne fut pas simple à gérer. Frédérique Devaux dans Entre deux rives (2003) raconte comment son père marié en Kabylie, rencontre sa mère une parisienne de 20 ans qu’il épouse, et dont il aura 5 enfants. Quelques années plus tard, Tayeb et Denise se séparent. Le père « emporte » deux garçons qui seront élevés par Zahra, la première femme restée en Kabylie et qui ne sait rien de la double vie de son mari. La réalisatrice, aujourd’hui enseignante et universitaire, témoigne de la difficulté longtemps inconsciente d’intégrer la douloureuse duplicité culturelle, nationale et identitaire. Une problématique analogue sous-tend le film de Noémie Mendelle Solange…com Saudades (2003) à propos des relations mère-fille dans le contexte de la migration. Il s’agit ici des milliers de femmes portugaises qui ont émigré du Portugal vers la France (dans les années 50 à 70), afin de fuir la misère et le fascisme. Avec l’ouverture des frontières, une nouvelle immigration venue des pays de l’Est côtoie celle plus ancienne venue des pays d’Afrique et du Maghreb. La femme migrante actuelle quitte son pays pour fuir un régime violent et tortionnaire ou pour améliorer sa situation économique et sociale, et plus pour rejoindre un mari. Ces migrantes sont souvent célibataires. Elles donnent la priorité à leur carrière et ne fondent une famille qu’après leur installation dans le pays d’accueil. Parmi elles, se trouvent des médecins, des professeurs, des étudiantes qui veulent poursuivre leurs études, et des femmes très qualifiées en quête d’un travail à la hauteur de leurs compétences, et qui souvent ne trouvent à leur arrivée que des emplois peu valorisants, comme le développe Soske (2001) de Rada Sesic, ou Struggle (2003) de Ruth Mader, racontant la vie quotidienne d’une jeune femme de l’Est qui, pour survivre le temps d’un été, cueille des fraises dans la campagne autrichienne. L’Engagement de Carole (2003) de Laurence Ayong Lekama suit le parcours semé d’embûches de plusieurs candidates à la recherche d’un travail. Dans Yugodivas (2000) d’Andrea Staka, cinq femmes artistes Serbes redémarrent leur carrière artistique à New York. Elles intègrent leur culture d’origine à leur nouvel espace créatif. Dans son travail pictural, Vesna Golubovic mélange des graffiti à l’art plus ancien de la fresque murale, et par-là même signe sa double nationalité artistique. Un dénouement heureux, une immigration réussie, capable d’intégrer l’ancien et le nouveau dans un geste créatif, cela reste exceptionnel et demeure, il faut bien le dire, l’un des atouts des Etats-Unis, pays qui a le plus fort taux d’immigration au monde et qui a toujours su en tirer parti. (cf. la nouvelle loi de G.W.Bush qui n’est pas seulement une « bonne » opportunité électorale, mais « arrange » un certain nombre d’immigrés clandestins (ceux qui en bénéficieront) en leur donnant un droit au travail provisoire, et donc un accès temporaire à la citoyenneté américaine dont ils pourront profiter). IMMIGRATIONS ET REPRESENTATIONS CINEMATOGRAPHIQUES Sangatte demeure un lieu symbolique (et réel) du malaise européen concernant les graves problèmes liés à l’immigration. Deux films y font référence : Welcome out/in Sangatte de Florence Pezon (2002) qui donne la parole aux « migrants »plutôt qu’aux officiels, et Sangatte, station balnéaire (2002) de Naïma Bouferkas, qui élargit et approfondit le propos, lui donnant une dimension politique déterminante. Plusieurs films affrontent aussi la face cachée de l’immigration clandestine, et la réalité violente des images qu’elle suscite. Suspino, a cry for Roma (2003) de Gillian Darling Kovanic montre l’exil des Tsiganes, ces « oubliés de l’Europe » qui sont près de huit millions (Tsiganes, Gitans, Manouches et autres Roms…) à vivre marginalisés dans des sociétés qui les craignent et les méprisent de longue date. Plus précisément, ce film s’attarde sur un camp de 700 réfugiés roumains parqués dans le camp de Casilino, à seulement 10km du Vatican… La dimension historique n’est pas oubliée, et de nombreux films prennent appui sur des images d’archives, pour renforcer une réflexion qui nécessite le recours au passé. Les archives restituent une mémoire. Elles aident à la survie des évènements de l’Histoire, et aux témoignages des acteurs encore vivants de cette même Histoire. France, terre d’exil (2003) d’Elsa Chabrol, montre l’exil des Russes en France à partir de trois vagues d’émigration : les Russes blancs des années 20, les dissidents, et les « post-soviétiques » y compris les Tchétchènes d’aujourd’hui. Histoires d’un exil espagnol (2002) de Jacquie Chavance, revient lui aussi sur les archives des années 39 et 40, au moment où 500.000 Espagnols quittaient leur pays en pleine guerre civile, pour être conduits dans des camps de réfugiés du midi de la France. Enfin dans Frammenti elettrici (2002) le couple de cinéastes italiens Angela Ricci Lucchi et Yervant Gianikian retravaille des images d’archives par divers procédés de recadrages et d’arrêts sur image, afin de donner un sens plus aigu à des gestes qui, à première vue, paraissaient anodins. Cette riche programmation de 40 films traite d’une actualité brûlante, et qui pourtant n’est pas nouvelle. Trop de « langues de bois », d’irresponsabilité politique, de pensée unique, de précautions idéologiques ont retardé une prise de conscience qui aujourd’hui s’avère indispensable. Les pays occidentaux doivent défendre un équilibre démographique, tout en affrontant les désirs de nombreuses populations immigrées qui veulent vivre dans ces pays, à part entière. Elisabeth Jenny * Lire le remarquable dossier de la revue Esprit (N° 12, Décembre 2003) : « L’Europe face aux Migrations » * La population mondiale au XXè siècle. Que sais-je? Jacques Dupâquier * Le Courrier de la Marche des Femmes contre les violences et la pauvreté (N° 35, Décembre 2003).
FEMMES ET IMMIGRATIONS Mes toits et moi de Anne Morin IMMIGRATIONS ET REPRESENTATIONS CINEMATOGRAPHIQUES Elisabeth Jenny
Photo DR