La longue marche des réalisatrices chinoises

Tout un programme consacré à la présence des femmes dans le cinéma chinois en pleine expansion, à la découverte de la nouvelle génération des années 2020



Films de la section

Bipolar
Girls Always Happy (...
Les Anges portent du...
Mama (Ma ma he qi ti...
Spring Sparrow (Chun...
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When a City Rises

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Films de la section

Ascension
Bi China
H6 – L’hôpital...
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Films de la section

Chinese Fusion
Dans la rivière (Ste...
Lili Alone (Duo li)
Mao’s Ice Cream
The Storms in our Bl...

Depuis la relance des réformes économiques au début des années 1990, l’évolution urbaine de la Chine, a été extrêmement rapide, à l’image de celle de la société. Le Parti Communiste Chinois promet à chacun l’opportunité de s’enrichir, de vivre mieux que la génération de ses parents et brandit le « rêve chinois » de Xi Jinping comme un brillant étendard. Mais pour atteindre la formidable croissance que le pays connaît depuis le début du XXIe siècle, des millions de petites mains s’échinent au travail (dans la construction, les usines ou l’industrie du service) tout en rêvant elles.eux aussi d’une vie meilleure, comme le montre Ascension (2021) de Jessica Kingdon.

Cette transformation des villes se retrouve dans le cinéma chinois, et y est souvent associée à une perte de repères et de valeurs morales. Les familles y sont éclatées, les relations amoureuses troubles tandis que les héros et héroïnes se sentent perdu.e.s, en pleine crise identitaire (The Cloud in Her Room (2020) de Zheng Lu Xinyuan). La ville est présentée pour les femmes aussi bien comme une opportunité d’émancipation (acquérir une indépendance financière, une éducation, s’éloigner de l’emprise de sa famille) comme de perdition (exploitation au travail, isolement, violences sexuelles). On trouve parfois des « murs invisibles » figurés à l’écran qui symbolisent les limitations ressenties par les personnages féminins mais dont elles n’ont pas toujours conscience. Dans des films comme Lost in Beijing (2007) de Li Yu ou Mouvement perpétuel (2005) de Ning Ying, la figure de la flâneuse s’impose comme une manière à la fois de se réapproprier cet espace urbain changeant et d’acquérir davantage de capacité d’agir en dépassant ces barrières.

Face à ces bouleversements, un retour aux sources, à la terre natale, est parfois vu comme nécessaire. Le retour à la nature se fait l’écho d’une classe moyenne de plus en plus consciente des enjeux écologiques, qui rêve d’une existence plus simple et plus verte. Mais derrière cette image idyllique, les inégalités de développement entre villes et campagnes sont criantes et provoquent un important exode rural, séparant les familles. Avec son format brut proche du cinéma-vérité, Present Perfect (2019) de Zhu Shengze témoigne de ce besoin de connexion humaine à travers des extraits de live-streaming dont la production et la consommation a littéralement explosé ces dernières années.

Se pose également la question de la mémoire après un XXe siècle fait de multiples révolutions et essentiel pour comprendre la Chine d’aujourd’hui. Que transmet-on de mère en fille en termes d’histoire et de rôles de genre ? Un dialogue entre générations est-il possible ? Avec les réformes, grâce à un plus grand accès à l’éducation supérieure et à l’indépendance financière, de plus en plus de Chinoises ont la possibilité de choisir comment elles mènent leur vie, si elles se marieront ou auront des enfants jusqu’aux produits qu’elles consomment. Il reste cependant difficile d’échapper à l’injonction à l’hétérosexualité et à celle des rites sociaux du mariage et de la maternité, dont le poids est principalement exercé par la famille (voir BiChina (2017) de Wei Tingting). Dans Fish and Elephant (2001) de Li Yu par exemple, la mère de l’héroïne, ignorant que sa fille est lesbienne, insiste pour qu’elle se marie alors même que son propre mariage a été malheureux. L’héroïne est alors déchirée entre son amour pour sa mère et celui qu’elle porte à la jeune femme qui partage sa vie. Ces relations mère-fille, aussi houleuses qu’indéfectibles, sont au coeur de nombreux récits de réalisatrices (Girls Always Happy (2018) de Yang Mingming ou encore Mama (2020) de Li Dongmei).

Les perspectives choisies pour raconter des histoires sont souvent celles de marginaux. Certains films comme Dam Street (2005) de Li Yu, Les Anges portent du blanc (2017) de Vivian Qu ou encore Vénus sur la rive (2021) de Wang Lin adoptent le point de vue d’enfants pour aborder des problématiques qui concernent les femmes autour d’elles.eux et qui affectent leur construction personnelle. En optant pour un regard en principe innocent, les réalisatrices nous confrontent à notre propre façon de percevoir les images et les évènements ainsi qu’à notre propre jugement. Ce point de vue permet ainsi de déconstruire l’image de la femme et les rôles qui lui sont attribués dans la société chinoise contemporaine.

Enfin, la récurrence de fins ouvertes, avec des héroïnes qui partent vers un ailleurs qui nous est inconnu, évoque l’interrogation de l’écrivain Lu Xun en 1923 dans son commentaire de la pièce Une maison de poupée d’Henrik Ibsen : une fois partie de chez elle en quête d’émancipation, que devient l’héroïne lorsque la structure de la société reste patriarcale ? Ces ouvertures sont alors comme une interpellation au public de la part des réalisatrices, une incitation à réfléchir à comment construire le futur tandis que leurs héroïnes poursuivent leur longue marche vers davantage d’égalité. Les productions des réalisatrices chinoises présentent ainsi des perspectives variées sur leur pays et le fonctionnement de leur société tout en expérimentant avec la forme cinématographique. L’évolution des liens familiaux et sociaux, la recherche d’identité et la transformation de l’environnement, qu’il soit naturel ou urbain, sont autant de manières d’aborder leur travail. Leurs films étant encore moins distribués en France que ceux de leurs collègues masculins, cette édition représente une opportunité rare de découvrir leurs oeuvres les plus récentes.

Bérénice M. Reynaud Chercheuse associée, Docteure en études chinoises IETT (Institut d’Etudes Transtextuelles et Transculturelles)

Le festival remercie ses deux partenaires :

 

 

 

 

Fondé en 2013, le Baturu Cultural Festival (anciennement Chinese Women’s Film Festival) est un événement annuel mutidisciplinaire qui met en avant des films, de la bande dessinée, de la littérature et d’autres formes artistiques afin de sensibiliser les publics sur les droits des femmes et l’affirmation de leur pouvoir en Chine. Le festival est bénéficiaire de l’Intercultural Achievement Award du Ministère des Affaires Étrangères autrichien.

Un collectif, une énergie, une équipe qui décide de combler une lacune dans le paysage culturel bruxellois, et ainsi naît l’association « Elles Tournent » qui, depuis 2008, promeut et valorise le travail des femmes dans le monde artistique et culturel en général et tout particulièrement dans le secteur de l’audiovisuel. « Elles Tournent » organise chaque année un festival où les réalisatrices sont invitées à présenter leur film et échanger avec le public. L’événement est composé de films venant des quatre coins du monde, d’avant-premières,de séances inédites, d’interventions et débats réunissant des expert.e.s qui assurent un prolongement réflexif ou théorique au thème abordé. Ce festival est aussi prolongé durant l’année par les séances en partenariat avec des associations locales.



RENCONTRE / TABLE RONDE
NOUVELLES DE CHINE

Maison des Arts de Créteil (petite salle)
Mardi 15 mars à 15h30

Dans notre quête des réalisatrices, la présence des femmes dans le cinéma chinois en pleine expansion nous a semblé un enjeu pour le futur. Cette programmation dédiée à la Longue Marche des réalisatrices chinoises, véritable occasion de découvrir la nouvelle génération des années 2020, n’inclue pas, comme on l’aurait souhaité, les pionnières de la 5ème et 6ème génération, venues à Créteil au fil des années 1980 et 1990 et dont nous n’avons plus de nouvelles.

En présence de. :

  • Bérénice M. Reynaud / Chercheuse associée, Docteure en études chinoises, IETT (Institut d’Études Transtextuelles et Transculturelles, Université de Lyon (Jean Moulin Lyon 3)
  • Marie Vermeiren / directrice du Festival de Films de femmes « Elles Tournent » à Bruxelles
  • Queena Li / réalisatrice de Bipolar

« Après des décennies de régime maoïste, nul n’imaginait la Chine être un jour en mesure de se projeter à l’échelle de la planète. Or, force est de constater qu’aujourd’hui les élites intellectuelles chinoises se sentent assez sûres d’elles-mêmes pour se proclamer sans ambages, détentrices de valeurs universelles qui ne doivent rien à celles des Lumières européennes. Mais qu’en est-il en réalité ? ».

Extrait de Penser en Chine, ouvrage collectif
sous la direction de Anne Cheng. Ed Gallimard 2021