L’émancipation des femmes dans l’histoire et la création, tel est l’enjeu de notre festival depuis 45ans qui aux côtés des réalisatrices, actrices et toutes les femmes artistes tente de renverser la hiérarchie des images pour une vraie reconnaissance de leurs identités.
Ghaiss Jasser (Présidente) et Jackie Buet (directrice) sont fières de réunir trois grandes personnalités pour aborder les chemins de la révolte et de l’indépendance.
Ce colloque reviendra sur les étapes de l’émancipation des femmes et de leurs combats pour leurs droits qui se reflètent à travers toutes leurs créativités et particulièrement dans le domaine cinématographique.
Des paroles comme celles de nos trois invitées, entourées des réalisatrices de nos programmes nous sont indispensables.
Avec :
Michelle Perrot, historienne et écrivaine, pionnière de l’histoire des femmes.
Geneviève Sellier, pionnière des études de genre en France, historienne du cinéma et qui promeut la critique féministe
Karine Saporta, chorégraphe et photographe, spécialiste de la danse contemporaine
Des pages importantes de l’histoire de la fabrique de l’émancipation des femmes se sont écrites autour des questions liées au corps. Et bien par-delà les enjeux, incontestablement structurants, contenus dans les chapitres concernés par la sexualité ou la contraception…
Le mouvement de libération des femmes va, depuis fort longtemps à travers le monde, progressant ici ou régressant là en lien avec des dimensions de la vie physique.
Ce qui apparait avec une grande évidence, c’est le fait que le corps des femmes ait été de tous temps le théâtre d’interdits et de confinements divers. L’effet symbolique d’une inexplicable castration originelle se perpétuant à travers l’Histoire, produit et reproduit comme à l’infini sous des formes variées une double confiscation. Celle d’un libre accès : à la jouissance d’une part et à l’expression par le corps de l’autre.
Je m’intéresserai ici plus particulièrement au second aspect de la confiscation.
Longtemps considérées voire traitées comme des prostituées, et ce dans toutes les cultures ayant développé un art de la danse savant : les femmes pour avoir fait le choix de s’exprimer à travers leur corps ont eu à subir des traitements portant atteinte à leur dignité, voire à leur intégrité physique.
L’on peut s’étonner que la question se pose, aujourd’hui encore en 2023.
Le fait qu’elle se pose effectivement à nouveau mérite que l’on s’y arrête.
Karine Saporta
Longtemps les femmes ont été les oubliées d’un récit historique centré sur les faits publics ( guerres, règnes, évènements politiques.. ) et écrite majoritairement par des hommes. Reines, saintes, courtisanes étaient les seules femmes « illustres » dont on parlait. Au théâtre de la mémoire, les femmes étaient ombres légères.
Plusieurs facteurs ont changé les choses : d’une part, la modification du regard historique plus attentif au privé, à la sexualité, au quotidien, aux représentations. D’autre part et surtout le désir des femmes elles-mêmes qui, dans la foulée du Mouvement de libération des femmes des années 1970, ont pris une vive conscience de leur sujétion et de leur absence. Les historiennes ont joué à cet égard un rôle décisif en créant des enseignements ( 1973 : premier cours à Jussieu/Université Paris 7, intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? ») et des recherches, initiant un champ aujourd’hui en plein essor.
On rappellera les étapes de cet avènement, qui s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus vaste de découverte des femmes par elles-mêmes, son ambition ( rendre les femmes visibles et changer les perspectives historiennes en posant la question de la différence des sexes), les difficultés rencontrées ( quête des traces, dissymétrie des sources, résistances académiques), les problématiques développées, de la visibilité à la « domination masculine » et au genre. On s’interrogera sur les résultats et les effets, les succès et les limites de cet effort de connaissance inachevé, fragile et nécessaire dans un « devenir femme » toujours en perspective.
Michelle Perrot
Signature à l’issue du colloque
Le cinéma de fiction a été inventé par une femme, Alice Guy, qui, malgré une carrière brillante en France puis aux Etats-Unis, a été dépossédée de son œuvre de son vivant, puis par l’historiographie qui l’a littéralement effacée jusqu’à ce qu’elle soit redécouverte par des féministes principalement américaines.
Le destin d’Alice Guy symbolise la place des femmes dans le cinéma, un territoire où elles sont spontanément à l’aise, pour raconter des histoires ou pour documenter le monde qui les entoure, mais d’où elles sont exclues dès que la production des films devient économiquement profitable. Une bataille constamment recommencée pour imposer un autre regard que celui du patriarcat capitaliste sur les femmes et sur le monde.
Dans cette bataille, on trouve des femmes derrière la caméra mais aussi dans l’écriture des scénarios, et pas seulement les petites mains de la monteuse, de la scripte, de la costumière, de la maquilleuse… On trouve les actrices, à la fois les plus visibles et les plus dominées, assignées au statut d’objet du regard masculin, quand elles ne sont pas réduites à subir les agressions sexuelles des hommes qui ont le pouvoir dans ce milieu. #MeToo est l’expression de leur révolte contre cette domination.
On trouve aussi des spectatrices, souvent dénigrées à travers l’expression dévalorisante de « midinettes », qui ont joué un rôle prescripteur dès les années 1910. C’est grâce à elles que Hollywood a mise en avant à partir des années 1930 des stars féminines incarnant des femmes et des mères dans une lutte souvent tragique contre le patriarcat et le machisme.
Le mouvement féministe des années 60 et 70 a permis dans les pays occidentaux l’émergence d’une première génération de femmes cinéastes, qui s’est renouvelée contre vents et marées, la bataille ayant pris un tour décisif depuis #MeToo.
Des manifestations comme le Festival International de Films de Femmes accompagnent ce mouvement depuis plus de 40 ans, consolidé également par des réflexions théoriques qui s’expriment dans des revues et des sites dédiés.
Geneviève Sellier
Signature à l’issue du colloque