« Ce beau film rend hommage à Cécilia, à son talent de photographe, à sa grâce car déjà âgée, elle reste une femme d’un grande intensité et d’une belle énergie. Ce qui perce dans ce portrait très chaleureux et vivant, où se mêlent les propos de la grande dame et la perception poétique et dynamique de Paolo, c’est bien sûr son extrême intelligence et sa manière de tout voir, tout regarder, tout prendre en compte : les enfants, les jeunes soldats, les femmes… Elle nous rend concret le climat politique autour de ce conflit majeur au Vietnam pris sous les bombes américaines après avoir subies celles de la France. Un peuple en armes, un peuple qui résiste. Un peuple pris en otage. C’est une époque de grandes tensions idéologiques entre les super puissances et leur terrain de guerre se déplace chez d’autres peuples. On le comprend très bien : cet affrontement russo-américain. Même si Cécilia est une solide anarco-communiste, la caméra de Paolo ne rate pas les références à Staline, à Lénine et autres hommes forts de l’empire soviétique.
Héritage : il y en a beaucoup dans cette visite des souvenirs de Cécilia qui nous ouvre son appartement où siège la mémoire des luttes du peuple vietnamien. C’est un film d’Histoire et c’est l’histoire d’un film que Cécilia et son mari n’ont jamais pu tourner sur place en 1964, malgré leur demande express à Ho Chi Minh. À la différence de Joris Ivens et Marceline Loridan qui eux ont tourné en 1968 Le 17ème parallèle. »
Jackie Buet
Cecilia Mangini et Paolo Pisanelli (Documentaire, Italie, 2020, couleur et noir et blanc, 58’30’’)
«Ce sont les photographies qui me rappellent les « choses », car je perds la mémoire.
Je ne me souvenais pas de ces deux boîtes. Et puis je les ai attrapées, je les ai ouvertes, j’ai commencé à regarder les négatifs et il y avait des choses dont je ne me souvenais plus et qui me revenaient à l’esprit parce que … la photographie récupère le temps, l’espace, les sensations, elle récupère tout« .
Cecilia Mangini
«Réaliser un documentaire sur un reportage photographique retrouvé et sur un projet de film non réalisé n’est pas seulement un exorcisme contre le temps et contre les opportunités perdues: c’est retrouver des histoires vécues, des images fascinantes, un morceau important de l’Histoire de tous. Il est très important de savoir qu’un « petit » peuple a réussi à vaincre une grande puissance politique et militaire. Cette résistance est quelque chose de précieux à retenir, c’est aussi une invitation à ne se rendre jamais. La protagoniste erre chez elle, mais c’est une artiste qui se bat, capable de défier les blessures de la mémoire et de son histoire. » Paolo Pisanelli
Il y a des expériences dans la vie dont il est agréable de se souvenir. Pour d’autres, ce n’est pas le cas. Ce film retrace un voyage au Nord-Vietnam en guerre avec les États-Unis entre 1965 et 1966, un voyage dont Cecilia Mangini, la protagoniste de l’histoire, a du mal à se souvenir, une blessure encore ouverte car, avec son mari Lino Del Fra, elle était censée tourner un documentaire qui n’a jamais été réalisé. Après plus de cinquante ans, une petite et grande découverte de deux boîtes oubliées devient l’occasion de raconter ce voyage à travers un court métrage qui récupère lentement un fil de mémoire en assemblant des mots et des images oubliés depuis longtemps. C’est une sorte de guerre contre soi-même, entre dire et ne pas dire, entre se souvenir et ne pas se souvenir.
En réalisant le court métrage, Cecilia Mangini a en partie surmonté la douleur pour ce film qui ne se fit pas, elle a vaincu les réticences et les amnésies, elle a décidé de déclencher le recouvrement de ses souvenirs.
Mais ce n’est que plus tard qu’elle a décidé de rouvrir deux journaux (le sien et celui de Lino Del Fra), qu’elle a eu la chance de retrouver les disques et les magazines qui étaient encore éparpillés quelque part chez elle, dans des armoires, des bibliothèques, des étagères. Surtout, un tas de lettres sont apparues, y compris celle, extraordinaire, adressée à Ho Chi Minh.
Ainsi, après le court-métrage Le Vietnam sera libre, Deux boîtes oubliées a été réalisé, un moyen-métrage qui raconte cette expérience vietnamienne dans son intégralité : les deux films s’inscrivent dans un processus réel de narration d’un voyage au Vietnam, une espèce de film de guerre lié à un passé dont parfois on se souvient et que parfois on oublie, un film « de chambre » qui veut se réconcilier avec le passé et qui a été reconstitué à des moments différents : le court métrage sur une période de 4 mois, le moyen métrage, par contre, sur 6 mois. Le cinéma documentaire / du réel / de l’irréel / non-fiction / fiction, c’est à dire le cinéma que Cecilia et moi faisons ensemble, nous réserve toujours des surprises et des découvertes impossibles à planifier, à ordonner à l’avance dans un scénario.
Le temps passe, on vit, on filme… finalement, voici l’histoire à raconter, ou du moins ce dont il est possible de se souvenir.
Deux boîtes oubliées est un film de chambre qui raconte une guerre, une mémoire qui s’estompe, un défi contre le temps qui passe.
Deux boîtes à chaussures remplies de négatifs photographiques 6×6, oubliées depuis plus de cinquante ans dans un vieux placard, ont été retrouvées de manière inattendue. En 1965-66, les réalisateurs Lino Del Fra et Cecilia Mangini ont vécu pendant trois mois au Vietnam du Nord en guerre avec les États-Unis, tout en étant en repérage en vue d’un documentaire à propos de la lutte de ce peuple déterminé à gagner l’unité et l’indépendance.
De la frontière avec la Chine à la frontière avec le Vietnam du Sud, pro-US et effectivement occupés par les militaires américains, Lino et Cecilia ont exploré des villes, des ports, des villages, des rizières, des champs de bataille. Pour tenter de briser la résistance vietnamienne, au Sud les Américains du incendient les forêts au le napalm et, au Nord, ils avaient commencé à bombarder sans cesse, se rapprochant jour après jour de la capitale. En raison de l’absence de véritables abris anti-aériens, Lino et Cecilia ont été rapatriés avec les nombreuses délégations internationales et avec tous les étrangers présents à Hanoi. Ces bombes américaines ont touché également leur film qui ne s’est plus fait… Pendant les repérages, Cecilia Mangini avait réalisé un ample reportage photographique, en grande partie encore inédit.
Cette guerre, cette résistance, ce peuple en armes revivent à travers des photos, des écrits, des souvenirs et des oublis.
Paolo Pisanelli
Le Festival rendait hommage à Cecilia Mangini lors de son édition 2011. Retour sur cette programmation avec des images du catalogue de l’époque.