Rétrospective Lucile Hadžihalilović

Cinéaste aux films rares et au style immédiatement reconnaissable, Lucile Hadžihalilović est une personnalité hors norme dans le paysage du cinéma français. Le FIFF est heureux de vous présenter l’intégralité de ses films, en partenariat avec ARTE.



Films de la section

De Natura
Earwig
Évolution
Innocence
La Bouche de Jean-Pi...
Nectar

Cinéaste aux films rares et au style immédiatement reconnaissable, Lucile Hadžihalilović est une personnalité hors norme dans le paysage du cinéma français. Après avoir fait ses études à l’IDHEC (ex-Fémis), où elle rencontre son complice de toujours Gaspar Noé, elle fonde avec lui la société de production Les cinémas de la Zone. Ils travaillent ensemble sur leurs premiers films respectifs, scénario, réalisation, montage, et l’on retrouve des échos entre leurs deux univers, en particulier entre le premier film de Lucile, La Bouche de Jean-Pierre (1996) et Carne de Noé (1991) : pulsions incestueuses, souci méticuleux du cadre et de la lumière, univers qui oscille entre réalisme et cauchemar pur.

Mais par la suite, Lucile Hadžihalilović va construire une filmographie bien à elle et d’une grande cohérence, où l’enfance tient une place très particulière. Ses héroïnes sont ainsi souvent des (très) jeunes filles, à l’âge où l’imaginaire peut encore occuper tout l’espace mental/filmique. Avant l’adolescence et ses pulsions, avant les images crues et « graphiques ». Son cinéma se situe dans cette zone de flou, où les sensations non déterminées créent un univers flottant, entre rêve et réalité. Entre aussi l’état de grâce de ces personnages et les adultes qui les entourent. L’adolescente confrontée aux désirs de son « oncle » dans La Bouche de JeanPierre, les filles en (trans)formation d’Innocence (2005), le petit garçon hospitalisé d’Évolution (2015), Mia dans Earwig (2021), dont les dents fragiles semblent la rendre prisonnière d’un adulte, en passant par les petites filles qui se baladent dans De Natura (2018) : l’enfance y est toujours confrontée à une violence, plus ou moins déterminée.

Et si d’images insoutenables il ne sera jamais question, les films de Lucile Hadžihalilović explorent nos peurs primaires, celles nées dans l’enfance et qui nous marquent parfois à jamais. Sens du cadrage perturbant, éclairages déréalisants, ambiance qui se rapproche parfois du giallo, et surtout des bandes sonores ultra maîtrisées qui pourraient à elles seules souligner l’originalité de son style : voilà sans doute ce qui marque le rapprochement le plus profond entre son cinéma et le cinéma dit « de genre ». Plus intrinsèquement, ses films sont une invitation à lâcher prise, tel un pacte « lynchien » à ne pas tenter de tout comprendre par l’esprit, par l’explication logique, mais au contraire de trouver du sens dans les sensations, les impressions, le ressenti.

La nature est le second grand thème qui irrigue ses films, et les rapprochent du conte de fée. La nature, qui pourrait libérer les personnages et leur donner une perspective que les décors confinés dans lesquels ils évoluent ne leur offrent jamais, semble un ailleurs désirable. Mais c’est avant tout une nature fantasmée, quasi symboliste. Il y a une dimension primaire, en quelque sorte naïve, assumée dans ces récits, qui avancent par association d’idée autant que par association d’images. Montage mental, images vénéneuses qui s’incrustent dans l’esprit du spectateur et ne le quitte plus. Impossible d’oublier le ballet des jeunes filles d’Innocence, les plans superbes aquatiques d’Évolution ou cette femme balafrée qui avance dans Earwig, apparaissant dans un parc au milieu du film pour le hanter jusqu’au bout. Tout comme ces femmes abeilles autour de leur reine dans Nectar (2013), qui nous propulse d’une nature irréelle jusqu’au tours Choux de Créteil, ruches humaines.

Femmes abeilles, enfants cobayes, adultes défigurés, les films de Lucile Hadžihalilović s’intéressent à des personnages en pleine mutation. Cinéma de la métamorphose, du passage d’un état à un autre, il agit tel une alchimie, dont les lois se doivent de demeurer secrètes. Mais dont il est indispensable de découvrir ces oeuvres au mystère fascinant.

 

Laurence Reymond



Cette rétrospective est en ligne avec notre programmation ELLES FONT GENRE et Lucile Hadžihalilović participe à la table ronde, mercredi 16 mars à 10h00 à la MAC – Satellite, en partenariat avec Arte.