Édition 2001

Du 23 mars au 1er avril 2001

23ème édition

Catalogue

Autoportrait : Maria Schneider

Que devenait-elle ? Nous l’avions laissée, enfantine, dans les bras du beau Marlon. Dans un rôle trop écrasant pour elle et dont elle ne reviendrait pas indemne. Descente aux enfers. Solitude. Carrière chaotique. Avec pour seul rempart une lucidité aiguë des médiocrités du monde. Nous la retrouvons aujourd’hui plus belle que jamais. Drôle. Insolente. Un peu meurtrie. En attente d’un rôle à sa mesure, dont elle pourrait être fière. Nous l’aimons beaucoup. Portrait.

Une rebelle précoce

Je voulais faire de la peinture, et j’ai fait du latin et du grec. J’étais bonne élève, j’avais envie de faire des fouilles archéologiques et de l’illustration pour les livres d’enfants, car c’est un métier artistique. Ma mère était libraire, je vivais avec elle. Puis, il y a eu Mai 68 et, pendant que mon frère devenait bourgeois, médecin, et manifestait avec des drapeaux rouges, moi je pleurais, car je ne pouvais plus étudier. J’avais des conflits assez violents avec ma mère, donc je suis partie de la maison à quinze ans et demi. J’ai gagné ma vie en vendant des dessins et des illustrations pour les menus des restaurants. J’ai aussi été mannequin junior pour des jeans. J’étais cinéphile. J’allais voir beaucoup de films, comme ceux du néoréalisme italien. En 1969, en faisant de la figuration, j’ai rencontré Brigitte Bardot sur le film de Jean Aurel, Les Femmes. Elle s’est prise d’affection pour moi, je lui ai dit que j’habitais toute seule. Comme quoi Brigitte n’a pas été sympa que pour les animaux et les chiens perdus ! Elle connaissait mon père, Daniel Gélin, qui était comédien mais que moi je ne connaissais pas. Elle m’a proposé une chambre de bonne chez elle à Paris, et j’y suis restée deux ans. C’est ainsi que j’ai démarré dans le métier. J’ai rencontré son agent qui me disait avec son accent yougoslave : « Vous devriez faire du cinéma avec le physique que vous avez. » J’étais fascinée par la personnalité de Brigitte Bardot, qui avait trente-trois ans et était d’une beauté éclatante. Elle était déjà très lucide sur le métier et commençait à avoir envie d’arrêter. Elle m’a appris des choses que j’ai vérifiées par la suite. J’ai aussi rencontré Warren Beatty et Alain Delon, qui m’a fait démarrer dans Madly (1970). Après j’ai fait des petites choses comme La Vieille Fille (1971), de Jean Pierre-Blanc, avec Annie Girardot et Philippe Noiret.

Dernier Tango… premier grand rôle

En fait, c’est un hasard total. J’étais très copine avec Dominique Sanda. Elle devait faire le film avec Jean-Louis Trintignant, mais elle était enceinte. Elle avait une grande photo chez elle où nous étions toutes les deux. Bertolucci l’a vue. Il m’a fait faire un casting. J’ai lu le scénario, que je n’ai pas tout de suite compris. Je n’avais pas très envie de le faire, et tout le monde me disait : « Com­ment, avec Brando… » J’ai résisté jusqu’au dernier moment, car je devais faire un film de Zurlini, avec Delon, qui s’appelait Le Professeur, avec la danseuse Sonia Petrovna. J’ai regretté mon choix, car le début de ma carrière aurait été plus doux, plus tranquille. Pour Le Tango, je n’étais pas préparée. Les gens m’ont identifiée à un personnage qui n’était pas moi. Le beurre, les propos grivois des vieux cochons… Je trouve que c’est un film qui a vieilli, de style, de forme et de discours. C’est un film typique des années 70, daté, contrairement aux films d’Antonioni, de Ros­sellini, qui ne prennent pas une ride. Bertolucci est très malin, il a suivi les modes. Même Marlon, avec son charisme et son envergure, s’est senti un peu violé, un peu exploité dans ce film. Il l’a rejeté pendant des années. Et moi, j’ai ressenti cela doublement. Marlon était extraordinaire, sympa avec les techniciens, généreux. Bertolucci, qui était communiste, comptait ses sous et faisait travailler les gens quinze heures par jour. Marlon disait : « Là, on s’arrête, et sandwiches pour tout le monde », tout hollywoodien et superstar qu’il était. Il y a eu une chimie entre nous, une complicité. Avec d’autres acteurs, le film aurait été très différent.

Les années 70 et la révolution sexuelle

Le Dernier Tango, c’est le Et Dieu créa la femme (Vadim, 1956) des années 70. Mais je vais vous faire une confidence, c’est un scoop que j’ai révélé en Ita­lie, mais pas en France. Dans le scénario original du Tango, mon rôle devait être interprété par un garçon, ce qui évidemment change tout. Ils n’ont pas osé. Marlon me disait toujours : « Mais toi, tu as plus de caractère qu’un garçon ! » [rires] C’est quand même ce premier projet qui aurait cassé des tabous. Le film, tel qu’il a été tourné, a été interdit en Italie par un groupe de cathos et en Espagne sous le régime de Franco. Comme dans Lolita (Kubrick, 1962), c’est la différence d’âge qui est aussi un véritable ta­bou. Marlon a cinquante ans et moi vingt. Avec le re­cul, ce film est plus hard dans les dialogues que dans l’image – depuis, on a vu bien pire –, dans la perversité du texte et du scénario de Franco Arcalli, qui tour­ne autour de la zoophilie, des cochons et tout ça… Il y a aussi un côté mortifère, et je dois dire que le meur­tre de la fin du film m’a fait beaucoup de bien.

Une vraie nature d’actrice

J’ai appris sur le terrain, car je n’ai pas pris de cours. J’ai un peu été à l’Actors Studio, mais ça ne m’a pas plu. Je n’aime pas le théâtre. Je vais à l’Opéra, mais le théâtre m’ennuie. Il y a très peu d’acteurs qui disent cela. Pour moi, le cinéma se rapproche de la peinture, et j’aime travailler avec des cinéastes qui ont un sens de l’image. J’aime l’idée que le cinéma reste une mémoire de notre époque, que ce soit filmé, qu’il y ait une trace. Ensuite, j’ai rencontré Antonioni, qui est plus proche de ce que je suis dans la vie. Il faut choisir, ne pas vendre son âme, et beaucoup d’acteurs se galvaudent. Après le film de Bertolucci, j’ai eu des ponts d’or pour faire des sous-Tango, des rôles de sex-symbol… J’ai cassé cela très très vite. J’ai aussi eu des problèmes car on disait : « Elle ne veut plus se dés­­habiller, elle ne veut pas faire de scènes d’amour… » C’est ce que l’on demande toujours aux jeunes fem­mes, même en 2001, ça n’a pas évolué d’un iota, au contraire. Je suis toujours révoltée sur le fait que les hommes de soixante ans, Serrault, Poiret, Noiret, ont une carrière continue, comparée aux femmes du même âge. Même Girardot. Entre le sex-symbol et la mamie, il n’y a pas d’autres rôles intéressants. Je m’occupe d’une association pour les acteurs en difficulté qui s’appelle La roue tourne et qui existe depuis 1956. Je suis un peu leur ambassadrice. La présidente a quatre-vingts ans et elle aide ceux qu’elle appelle les « sinistrés de la gloire ». Les acteurs n’avaient pas de chômage et lorsqu’ils avaient un accident ils n’étaient pas pris en charge par la sécurité sociale. C’est in­croyable, si l’on pense que cette association a payé le loyer de Marcel Carné pendant les dix dernières an­nées de sa vie… mais aussi celui d’Abel Gance. L’Etat ne faisait rien. Moi, j’ai aussi été la voir à une époque où j’avais du mal à travailler. Elle me disait : « Mais, ma petite Maria, ça a toujours existé, vous êtes vieille maintenant, vous avez quarante ans ! » Elle a connu les actrices du muet, comme Jacqueline Delubac. Tout cela n’a pas évolué, même avec les femmes réalisatri­ces. Il y a une terrible crise des rôles, et le cinéma semble verrouillé. Chacun fait sa place, et la « grande famille du cinéma », c’est une illusion.

Le personnage de Garbo m’a énormément intéressée. J’avais fait une interview avec Frédéric Mitter­rand, à propos de l’exposition interactive Cité-Ciné qui avait eu lieu à La Défense. Frédéric, avec sa bienveillance, sa curiosité, me posait des questions sur les grandes actrices du passé, et j’ai mentionné Greta Garbo pour son ambiguïté [rires], Anna Magnani pour sa force et Vivian Leigh pour sa fragilité. Ce sont trois actrices que je vénère.

Michelangelo Antonioni

Moi, j’étais une fan d’Antonioni au départ. Blow up avait été un choc cinéphilique, Le Désert rouge, L’Eclipse, et tous les autres. L’une des magies de ce métier, c’est de rencontrer quelqu’un que l’on admire et avec qui l’on va travailler. Il y a une rencontre comme celle-là tous les dix ans, mais d’en avoir une dans sa vie, c’est génial. En plus, Michelangelo est un cinéaste des femmes. C’est un réalisateur qui aime la sensibilité, qui aime les femmes, et c’est resté un ami pour moi. Il ne manipule pas, c’est un peintre du cinéma. J’ai présenté Profession reporter devant des jeunes à New York, ça a très bien marché, le film a été ovationné, même s’il peut paraître lent. C’est une lenteur qui renvoie à une intériorité. Quant à Jack Nicholson, c’est un acteur compétitif qui n’aime pas trop les actrices avec qui il travaille. C’était la première fois qu’il tournait en Europe, alors il se faisait envoyer des hamburgers d’Amérique. De plus, comme Antonioni ne dirige pas ses acteurs (contrairement à René Clément, par exemple), Jack était complétement paumé. Il était habitué à faire trente répétitions pour aller d’un point à un autre. L’acteur typique de l’Actors Sudio. Bref, il a beaucoup souffert, et c’est peut-être pour cela qu’il a racheté le film. Mais il n’a pas ses tics habituels et c’est un beau film pour lui aussi.

René Clément

Ensuite, et cela a été une grande rencontre pour moi, j’ai tourné La Baby-Sitter, de René Clément (1975). A mon avis, c’est l’un des plus grands directeurs d’acteurs qui soient. Il m’a appris la moitié de ce que je sais faire devant une caméra. Il a dirigé des enfants, et cela lui donne une précision incroyable. Tout est expliqué, la moindre motivation des personnages. Il était près de ses acteurs, et ce tournage a été très instructif. Il n’y a qu’avec Comencini que j’ai retrouvé ce talent de direction d’acteurs. Curieusement, il a aussi beaucoup tourné avec des enfants. Avec Anto­nioni, c’est la technique qui est importante. Il soigne la lumière. A l’époque, on tournait deux minutes par jour, aujourd’hui on en tourne quinze. La direction d’acteurs est une qualité qui se perd beaucoup chez les jeunes réalisateurs. Ils vous donnent un rôle, et vous vous débrouillez. Moi, j’aime bien aller dans l’univers de quelqu’un. Etre soi-même, ce n’est pas intéressant. Almodóvar, aussi, est un très grand directeur d’acteurs. Il travaille dans la pression, c’est un peu éprouvant, mais passionnant.

Luis Buñuel

Je n’ai pas refusé de tourner pour Buñuel, mais j’ai été virée. J’ai appris toute l’histoire il y a six ans, grâce à Anatole Dauman. Buñuel ne voulait plus tourner, il était reclus au Mexique. Mais Silberman, vieux grippe-sou, voulait « faire » le dernier film de Buñuel, qui lui disait : « Je ne veux plus tourner, je suis fatigué, je suis sourd… » Finalement, il en a eu marre et, voyant une photo du Dernier Tango, il a dit : « Avec la petite, là, dans le film ! » Je rencontre Buñuel. Je lis le scénario. C’était un remake de La Femme et le Pantin (1958). Encore un vieux avec une jeune… bon ! Ensuite, Buñuel m’habille à la Deneuve, avec des trucs très bourgeois. Disons que je n’étais pas très à l’aise. Par contre, il me fait pren­dre des cours intensifs de flamenco pendant deux mois, et ça, j’ai adoré. Je me défoulais, c’était génial ! [rires] Je pars pour Madrid. C’était le grand come-back de Buñuel en Espagne, après le départ de Franco. Comme Le Tango était interdit, une armée de paparazzi m’attendait à la gare de Madrid. On me dit : « Qu’est-ce que vous venez faire ici ? » « Je viens tourner Cet obscur objet du désir avec Luis Buñuel. » Le lendemain, évidemment, des manchet­tes dans tous les journaux. Je suis convoquée par le directeur de production, qui me dit : « Vous ne deviez rien dire ! » J’avais vingt-deux ans, ni attaché de presse, ni garde du corps avec moi. Buñuel montait son film en même temps qu’il le tournait. Il était toujours derrière son écran : un homme avec un téléviseur à la place du corps, et deux pieds qui dépassaient. L’assistant faisait la navette entre le réalisateur et moi. C’était surréaliste ! Je démarre avec une scène de séduction qui consistait à danser derrière des grilles. J’ai commencé à faire un truc délirant [rires], moitié rock, moitié flamenco. Buñuel dit : « Mick Jagger !!! », et je rentre à l’hôtel. J’ai attendu toute la nuit que l’on glisse sous ma porte le planning du lendemain. Ça sentait le roussi. Je connaissais bien la scripte, mais personne ne me parlait. Tout le monde était très lâche, fuyant. Au matin, je vois arriver Buñuel, qui me dit : « Toi rebelle ! toi rebelle ! [rires] Ça va pas… » Bref, je suis renvoyée à Paris, sans être payée ni dédommagée. Ma satisfaction, c’est qu’il a pris deux actrices pour me remplacer, Carole Bouquet et Angelina Molina. Pendant des années les assurances n’ont plus marché. Anatole m’a dit que je devais tout cela à Sil­berman, qui dès le départ voulait me virer. J’ai su que Buñuel avait pris deux actrices pour faire payer deux salaires à Silberman. Quand j’ai vu le film, je n’ai eu aucun regret, je ne l’aime pas. Cependant, il a lancé Carole et Angelina.

Joseph Losey

Avec Losey, on devait faire La Dame aux camélias. J’aimais beaucoup Losey. Il fallait convaincre les producteurs de l’époque, Toscan et Drucker. Joe [Losey] me dit de venir les voir. A l’époque j’étais quand même rock’n roll [rires], je fumais des pétards du matin au soir, il faut le reconnaître. Je suis arrivée dans un état décourageant pour eux, alors ils ont décidé de faire un autre film, Les Routes du Sud (1978). Je me souviens d’un déjeuner avec Montand et Joe. Joe picolait, il était saoul. Il me dit : « You don’t going to smo… smoke, hey, du… during th… this film ! » Moi, je lui dis : « You don’t going to drink, hey ! » C’était vraiment l’hôpital qui se foutait de la charité. Il n’allait pas me donner de leçons. Lui et Montand étaient complètement avinés. Montand disait : « Elle fume, elle se drogue. » Bref, du coup, ce film ne s’est pas fait. Montand n’a pas rattrapé la chose. C’est Miou-Miou qui a eu le rôle. On accepte d’un acteur homme qu’il soit dans un état second, mais, pour nous, c’est impardonnable.

« J’étais rock’n roll »

Concernant la drogue, nous ne savions pas, à l’époque, que c’était si dangereux. Il y avait un idéal, changer la société, et surtout une soif de fantaisie. Les jeunes, aujourd’hui, ne se droguent plus du tout de la même façon. Ils sont tous paranos, violents. Mais il y a le sida et le chômage. La drogue est devenue une question de fric. Moi, j’ai perdu sept ans de ma vie, et je le regrette amèrement. D’abord, ça te colle une image par rapport aux gens qui veulent travailler avec toi. Heureusement, je n’ai pas dévié vers l’alcool ou les pilules. Je suis une des rares qui aient été aussi loin et qui soient toujours en vie. Nico, malheureusement, a été jusqu’au bout, elle était suicidaire. Tout cela dépend de l’amour que l’on a de la vie, ou pas. Moi, au fond, j’aimais bien la vie et je m’en suis sortie, mais pas toute seule. J’ai commencé à me droguer au moment où je devenais célèbre. Je n’aimais pas la célébrité, et surtout l’image pleine de sous-entendus, grivoise, que les gens avaient de moi après Le Dernier Tango. En plus, je n’avais pas de famille derrière moi, où on te protège. Je n’avais pas non plus de garde du corps comme Sharon Stone, et donc j’étais très exposée. J’ai subi des agressions. Des gens qui viennent te dire des trucs déplaisants dans les avions. J’étais traquée, et je me sentais traquée. Et puis, il faut bien relativiser les choses. J’ai adopté ce que disait Mastroianni : « Je suis un artisan. » C’est vraiment ce qui me correspond le mieux. J’ai pas fait de peinture, mais je peins avec moi-même. Donner des émotions aux gens, c’est un plaisir. L’argent, la célébrité, le pouvoir, tout ça, il vaut mieux s’en protéger. Il faut des années pour comprendre, et cela s’appelle la maturité.

Exploration des marges

Quand j’avais des difficultés, je travaillais dans des circuits plus marginaux, avec Garrel, Rivette… J’ai fait Le Voyage au jardin des morts (1976), un film rare que seuls les fans de Garrel ont vu. Il n’y avait pas un sou. Garrel faisait tout : le son, l’image… On allait prendre des chutes de pellicule dans les studios la nuit. Rassam nous donnait mille francs par-ci, mille francs par-là pour faire le film. Personne n’était payé. Ce film a vraiment été fait pour l’amour de l’art. L’image est magnifique, c’est un 16 mm gonflé noir et blanc. Je ne suis pas maquillée, et il y a des plans d’une beauté extraordinaire. Ensuite, il y a eu Rivette. Il est venu me voir en me disant : « Maria, je voudrais tourner avec vous. » Complètement barge, déjà sous Tranxène. Il me donne rendez-vous au Paris, son café de prédilection sur les Champs-Elysées. J’arrive, je vois un type assis en tailleur qui me dit : « Vous savez, moi, j’écris le scénario en même temps que je tourne. Qu’est-ce que vous voudriez faire ? » Moi : « Je sais pas, un thriller, un polar… » Il est parti là-dessus. « Et avec quel acteur voudriez-vous tourner ? » « Ben, je sais pas, avec mon pote Joe [Dallessandro] » [rires]. C’est devenu Merry-Go-Round (1977). Maintenant, on ne fait plus les films comme cela. C’était la nouvelle vague, tout était possible. Je me suis un peu énervée, car Rivette, c’est vraiment quelqu’un qui ne fait rien dans un film. Il y a Lubtchansky qui fait tous les mouvements de caméra, et un autre type écrit les textes. Les acteurs sont au milieu. Rivette, c’est la posture du réalisateur. Il a surtout le don de réunir les gens.

Un féminisme empreint de mystère

Je préfère le mystère. Mais, à dix-neuf ans, quand on te demande de parler de ta vie privée, c’est vraiment pénible. Des questions du genre : « Quel est votre amant ? » « Pourquoi vous n’avez pas d’enfant ? » A l’époque, j’ai répondu par une boutade, j’ai dit que j’avais eu cinquante amants, hommes et femmes. C’était terrible d’avoir dit cela. Les journaux comme Le Gay Pied l’ont repris immédiatement et au premier degré. J’estime que toutes ces informations n’intéressent que moi. Le coming-out et tout ça, qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ? Même Jodie Foster se cache. La chasse aux sorcières existe toujours dans certains milieux, comme au Moyen Age. Le cinéma est encore archaïque. Chez les hommes, il y a une solidarité, ils se tiennent, se produisent entre eux, se donnent des coups de main, c’est formidable. Les femmes sont isolées, elles revendiquent moins et en plus elles doivent étaler leur vie privée. L’actrice qui fait un bébé, ça se vend, mais celle qui vit très bien dans son coin, c’est pas possible. On a tous une ambiguïté sexuelle, mais ce n’est pas écrit sur le visage. Un jour, Delphine Seyrig est venue me voir à Los Angeles. Elle avait quarante ans, moi j’en avais vingt. Elle était plus motivée que moi par la lutte féministe. Moi, je disais : « On verra, je ne ferai peut-être plus cela dans deux ans. » Elle s’est fait des ennemi(e)s en rembarrant les journalistes, mais c’est sûr que, pour réussir, il faut aller dans le sens du poil, comme Nathalie Baye, comme Isabelle Huppert. Je pense à quelqu’un qui est une amie, Liliane de Kermadec (Aloïse, 1974, La Piste du télégraphe, 1993), qui se bat encore pour travailler. On se fait des dîners et on râle ensemble sur les producteurs, sur les films qu’elle aimerait faire mais qu’elle ne peut pas faire. On devait tourner Flora Tristan ensemble, elle n’a jamais réussi à monter le projet.

Les chemins buissonniers du cinéma

J’ai tourné L’Imposteur, de Luigi Comencini, en 1982. Lui, c’est un merveilleux monsieur, un grand réalisateur, et ses trois filles sont dans le métier : Francesca, Peppe et Cristina. Ce film est une fable sur Jésus et le Vatican aujourd’hui. Le sujet me rappelle un film de Zeffirelli que j’ai refusé, où je devais interpréter la Vierge Marie : Jésus de Nazareth (1978). A l’époque, je disais : « C’est pas mon truc, la Vierge Marie », mais je le regrette beaucoup. En plus, il a insisté, sans m’en vouloir, car il est revenu me chercher il y a quatre ans pour un rôle dans Jane Eyre (1994). J’adore Zeffirelli, c’est un grand cinéaste classique.

Depuis une quinzaine d’années, je tourne à peu près régulièrement, entre l’Italie et la France. Citons La Dérobade, de Daniel Duval (1979), Balles perdues, de Jean-Louis Comolli (1983), qui est un thriller co­mique, Ecrans de sable, de Randa Chahal Sabbag (1990), Au pays des Juliets, de Mehdi Charef (1991). Je vais toujours au cinéma, mais en choisissant mes films. Mon dernier coup de cœur : Tigre et Dragon, de Ang Lee (2000). C’est un ballet lyrique génial !

Propos recueillis par Jackie Buet et Elisabeth Jenny

 

 

Les Héroïnes du XXe siècle

Le xxe siècle aura été la période la plus propice à l’émergence des femmes dans pratiquement toutes les sphères de la société. Après avoir longtemps pris la mesure des effets collectifs d’un tel changement social, il convenait de réévaluer le caractère exemplaire de quelques pionnières du xxe siècle, qui furent des héroïnes remarquables.

Madeleine Renaud dans Le Ciel est à vous, de Jean Grémillon.

La pensée

L’arrivée massive des femmes dans le système économique et social du travail a mis fin à son enfermement domestique, enfermement voulu par les hommes durant des siècles et des siècles, pratiquement depuis l’Antiquité. Cette aventure collective des femmes dans le monde du travail aura été le résultat de circonstances historiques (le manque de main-d’œuvre masculine après la première guerre mondiale, par exemple), mais aussi le résultat d’une idéologie féministe développée depuis le Moyen Age, si l’on pense aux écrits de Christine de Pisan (France, xive siècle), de Marie Astell (Angleterre, xviie siècle), de Louise Labbé (France, xvie siècle), de l’américaine Margaret Fuller, ou de Flora Tristan, Jeanne Deroin et leurs amies au début du xixe siècle… C’est pourtant avec Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, publié en 1949, qu’un certain malaise existentiel féminin est pris en compte et rendu légitime par la dimension philosophique que lui en donne son auteure. Il faut dire et redire à quel point ce texte fait entrer la revendication féminine passée, présente et à venir dans le champ du savoir scientique et universitaire. Il a ouvert la voie à des travaux d’historiennes (Michelle Perrot, notamment) de sociologues, d’avocates (Gisèle Halimi…) de psychanalystes (Luce Irigaray, Marcelle Marini…) dans un effort commun pour vaincre le silence et l’oubli de tout ce qui concerne l’identité des femmes. Des romancières, telles que Françoise Sagan, Marguerite Duras…, ont aussi contribué à façonner une nouvelle image de la femme, d’abord dans la littérature, puis dans la vie. Dans le domaine de la psychanalyse, des personnalités comme Melanie Klein ou Françoise Dolto ont très vite été à l’origine d’importants remaniements de la théorie freudienne et, si Luce Irigaray n’a pas fait école, elle a pointé dans un texte majeur que « toute théorie du sujet aura toujours été appropriée au masculin » (Spéculum, 1974), posant ainsi les bases d’une éthique de la différence sexuelle, comportementale et humaine.

Rosa Luxembourg

et puis l’action…

La deuxième guerre mondiale a eu ses héroïnes, que l’on commence à mieux connaître. Des femmes d’action et de courage, des résistantes, comme Lucie Aubrac, rendue célèbre par ses écrits, par sa présence encore parmi nous, et par les films de Josée Yanne, Boulevard des Hirondelles (1991), et de Claude Berri, Lucie Aubrac (1997). Mais que savons-nous de Danielle Casanova, cette résistante communiste française morte à Auschwitz et qui écrivait :« Jai du soleil plein le cœur, je suis calme et solide… » ? Que savons-nous encore de toutes celles, plus anonymes, qui ont suivi De Gaulle à Londres en prenant conscience qu’elles pouvaient participer au destin historique de la France. « On va disparaître les unes après les autres, et l’Histoire nous aura oubliées… », dit l’une d’elles dans le documentaire que leur consacre Dominique Torrès. Anonymes, mais ayant sans doute contribué à faire accepter un droit de vote chèrement acquis en 1944, après une bonne vingtaine d’autres pays européens. Dans le domaine du photojournalisme, Lee Miller (1907-1977) ne fut pas uniquement la compagne, le modèle et le support sensuel des œuvres de Man Ray, mais, travaillant pour le magazine Life comme reporter, elle fut une photographe engagée dans la diffusion des documents les plus irréfutables sur les camps de concentration nazis, documents qui, au procès de Nuremberg, ont contribué à introduire la notion juridique de crime contre l’humanité.

Les idées intellectuelles, associées à la forte capacité émotionnelle que dégage tout destin exemplaire, se sont greffées sur des pratiques novatrices, des résistances au jour le jour, des révoltes quotidiennes d’innombrables princesses, bourgeoises, paysannes, ouvrières, artistes, savantes… qui ont surmonté les barrages opposés à leur sexe pour s’imposer dans la vie politique, économique, scientifique, religieuse ou artistique. Nous en sommes à peu près là aujourd’hui, dans un mouvement qui s’est amorcé lentement au début du xxe siècle, mais se poursuit inexorablement.

C’est en 1933, au début du fantastique essor cinématographique hollywoodien (si l’on pense que l’arrivée du parlant date de 1927 !), que Dorothy Arzner, la deuxième grande réalisatrice américaine après Loïs Weber, met en scène un film d’une grande modernité, La Phalène d’argent. Il s’agit de la vie d’Amy John­son, une aviatrice britannique qui effectuera son premier vol en solitaire en 1929, et un an plus tard un raid Londres/Tokyo en dix jours, 11 000 kilomètres et quatre-vingts heures de vol effectif à bord de son Jason, qu’elle ne laisse à personne le soin de bricoler. Collant à l’actualité la plus spectaculaire, la modernité du film tient aussi à la triomphante féminité du personnage, interprété par Katharine Hepburn, insolente, audacieuse, et alliant un dynamisme de comportement à une psychologie amoureuse, passionnée et fatale. « Elle portait des pantalons, moi aussi ! », dira-t-elle en conclusion de sa collabora­tion avec Dorothy Arzner. Quoi qu’il en soit, on mesure mal aujourd’hui l’apport des femmes aux performances et aux exploits de l’aviation. Quelques noms pourtant : Maryse Bastié bat le record du monde d’endurance en vol (1929), Hélène Boucher pulvérise le record du monde de vitesse, 428 km/h (1933), Amalia Earhart disparaît mystérieusement au-dessus du Pacifique en 1937, cinq ans après sa traversée de l’Atlantique en solitaire, Jacqueline Auriol propulse son Mirage IIC à plus de 2 000 km/h en 1963… la liste pourrait être plus longue, jusqu’aux cosmonautes comme Svletana Savitskaïa, qui effectue son premier vol dans l’espace en 1982 et accomplit une première sortie en scaphandre à bord de Saliout 7 (1984), ou Sally Ride à bord de Challenger, qui, en 1983, devient la première astronaute américaine. Sans oublier le vol dans l’espace de la française Claudie André Deshays (1996), qui obtient son diplôme de pilote sur Soyouz en 1999. Il est plus surprenant encore, si l’on remonte à l’origine de cette histoire des femmes aviatrices, de constater que l’Egypte peut se vanter d’avoir eu très tôt une femme pilote. Il s’agit de Lotfia El-Nadi, qui, bénéficiant d’un environnement politique progressiste, effectue ses premiers vols au début des années 30, au moment de la création d’Egyptair, la première compagnie d’aviation égyptienne.

Louise Bourgeois

Les aventurières d’aujourd’hui, dans un monde où l’histoire continue de s’écrire au masculin, n’en sont pas moins présentes et, paradoxalement, isolées que dans le passé. Grâce au cinéma, et en particulier au documentaire, nous savons qu’une femme, Anita Conti (1899-1997), a voué toute sa vie à sa passion des océans. Mais que de bruit et d’éloges pour le commandant Cousteau, et que de silence autour de cette remarquable dame des mers, première océanographe, photographe (plus de 60 000 clichés), journaliste et documentariste (six ouvrages et un nombre impressionnant de « petits carnets » relatant toutes ses aventures)… Il en va de même pour le couple Maurice et Katia Krafft, vulcanologues célèbres dans le milieu scientifique, mais dont les exploits ne furent médiatisés (et encore !) qu’à leur mort accidentelle, alors qu’ils filmaient l’éruption du volcan Unzen au Japon.

Le monde de l’art compte aussi de nombreuses femmes insuffisamment connues dont les contributions à la peinture, à la sculpture, à la musique furent décisives : Louise Bourgeois, Frida Kahlo, Mary Cassatt, Tina Modotti… Pour le jazz, qui se souvient de la sonorité unique de Valaida Snow à la trompette, qui mérite d’être reconnue pour son talent original plutôt que comme l’Armstrong féminin, ainsi qu’on la surnommait à son époque ? (Gilles Corre, Femmes du jazz). Le cinéma permet, momentanément, de réactualiser l’aura d’une personnalité hors du commun, comme l’inoubliable portrait de Rosa Luxemburg filmé par Margareth von Trotta en 1985, ou celui d’Anne Devlin par Pat Murphy en 1984, qui font connaître et entrer dans la légende l’héroïsme militant et politique de quelques grandes figures féminines. La vitalité du documentaire est impressionnante. Grâce à lui, nos contemporaines nous semblent plus proches, et quelques héroïnes de ce siècle finissant ne sombrent plus dans l’oubli de nos mémoires défaillantes. Mais l’on se prend à rêver d’un vrai et grand cinéma en 35m pour tous ces destins remarquables. Pour une dizaine d’adaptations de Jeanne d’Arc à l’écran (de Dreyer à Luc Besson), combien de Simone de Beauvoir, de Maryse Bastié, d’Amalia Earhart, de Germaine Tillion, de Virginia Woolf, Lee Miller… aucune. Dans le même temps, les actrices passées la cinquantaine se plaignent de l’ineptie des rôles qu’elles ont à interpréter. Il y a là, nous semble-t-il, matière à reflexion… et à action.

Elisabeth Jenny

(1) Dernier message radio d’Amalia Earhart, qui, le 2 juillet 1937, lors d’une tentative de tour du monde d’ouest en est, disparaît mystérieusement avec son navigateur Fred Noonan.

Bibliographie

. L’incontournable Le xxe siècle des femmes, de Florence Montreynaud (Nathan, 1995)

. Le Féminisme, d’Andrée Michel (Que sais-je ? Puf)

. Les Aviatrices, de Bernard Marck (L’Archipel, 1993)

Jury et Palmarès du Festival

Grand Prix du Jury – Meilleur long métrage de fiction (ex-æquo)
Secret Society d’Imogen Kimmel (Royaume-Uni)
The Days Between (In den Tag Hinein) de Maria Speth (Allemagne)
Mentions spéciales Grand Jury
Time’s Up de de Ceccilia Barriga (Espagne/Chili /USA)
Sobstvennaya Tien (Sa propre ombre) de Olga Narutskaya (Russie)
Prix AFJ – Meilleur long métrage documentaire
Stollen Generation de Darlene Johnson (Doc, Australie)
Mention spéciale AFJ
The Mark of Caín d’Alix Lambert (Doc, USA)
Prix Graine de Cinéphage – Meilleur long métrage de fiction
Love Juice de Shindo Kaze (Japon)
Mention spéciale Graine de Cinéphage
Daughters of the Sun (Dokhtaran-e-Khorshid) de Maryam Shariar (Iran)
Prix UPEC. Université Paris-Est-Créteil – Meilleur court métrage européen
F de Janja Glogovac (Lituanie)
PRIX Beaumarchais – Meilleur court métrage francophone
Tous à table d’Ursula Meier (Belgique/Suisse)
Prix Programmes courts et créations CANAL + Meilleur court métrage
Les Pleureuses de Jorane Castro (France/Brésil)
Prix du Public – Meilleur long métrage de fiction (doté par la Ville de Créteil)
Secret Society d’Imogen Kimmel (Royaume-Uni)
Prix du Public – Meilleur long métrage documentaire (doté par le département Val-de-Marne)
Jazz Women de Gabriella Morandi (Doc, Italie)
Prix du Public – Meilleur court métrage étranger
No War de Svetlana Cvetko (Yougoslavie/USA)
Prix du Public – Meilleur court métrage français
Baobab de Laurence Attali (France/Sénégal)